Bonjour à toutes et à tous.
Mercredi 3 avril 2024 et voici ma treizième Réplique. De retour, avec un peu de retard ce mois-ci ! Nous soufflerons bientôt la première bougie de la Réplique.
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Cette semaine, nous revenons sur les rapports tumultueux entre l’école et la religion. Nous allons explorer le cadre de la laïcité.
Je ne souhaite pas polémiquer sur l’incident qui touche le Proviseur du lycée Maurice Ravel même s’il est bon de l’évoquer ; je préfère questionner le cadre républicain et la place qui est faite à chacun, les attaques qui peuvent s’exercer dans ce cadre.
D’où vient ce cadre et comment l’institution s’en est-elle emparée ? Pourquoi celui-ci est-il sans cesse questionné ? Sommes-nous trop fermes, complètement laxistes ou à côté de la plaque ? J’espère que vous aurez votre petite idée à la fin de cette édition.
La réalité est que plusieurs définitions de la laïcité coexistent, parfois avec peine ; c’est cette confusion qui envenime le débat public et crée des failles. J’ai vécu de près ces remous en ma qualité d’enseignante, je les connais et ils me touchent. Je ne le dis pas pour vous émouvoir, je le dis parce que cela peut orienter mon propos.
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Au programme de la treizième Réplique :
L’incident du lycée Ravel et les entorses à la laïcité
Le cadre de la laïcité en France, une exception
Un sujet de débat
Le mot de la fin
1. L’incident du lycée Maurice Ravel et les entorses à la laïcité
L’incident au Lycée Maurice Ravel…
La Réplique fait suite au départ du Proviseur du lycée Maurice Ravel dans le 20e arrondissement de Paris. Une élève avait affirmé, fin février, avoir été « poussée et tapée » par le Proviseur qui lui demandait de retirer son voile. Elle avait porté plainte - une plainte classée sans suite - , le 1er mars, pour « violences». Le proviseur avait rappelé à trois élèves leur obligation de retirer leur voile dans l’enceinte du lycée.
L’une d’elles avait ignoré le proviseur, ce qui avait provoqué une altercation, altercation à la suite de laquelle, il a été menacé de mort. Celui-ci a ensuite demandé sa retraite anticipée, demande acceptée par le rectorat de Paris en raison du contexte et pour des raisons de sécurité.
Le proviseur aurait bénéficié d’une protection fonctionnelle. Il avait à son tour déposé plainte pour « acte d’intimidation envers une personne participant à l’exécution d’une mission de service public ».
… Et l’augmentation des entorses à la laïcité
Depuis 2022, plusieurs notes rédigées par le service central du renseignement territorial font état de l’augmentation des entorses à la laïcité. Par exemple, celle du 8 juin 2022 recense 144 entorses à la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics contre 97 les trois premiers mois de l'année, soit une hausse frôlant les 50 %.
Des faits portant une atteinte grave à la laïcité sont en cause et notamment une multiplication des élèves refusant d'ôter leur voile islamique ou portant des tenues traditionnelles, jouant sur la frontière ténue existante entre le culturel et le cultuel.
Au passage, ces chiffres, ne traduisent pas toute l'ampleur du phénomène. En effet, les statistiques ne correspondent qu'aux seuls signalements transmis à l'échelon national. Or :
des établissements ne remontent pas tous les incidents qu'ils observent.
de nombreux enseignants s’autocensurent. D'après un sondage réalisé en septembre 2020 par l'IFOP, 40 % d'entre-eux déclarent se censurer pour ne pas créer des problèmes avec les élèves. 50 % dans les zones d'éducation prioritaire.
2. Le cadre de la laïcité en France, une exception
Au centre du débat public, la laïcité fait consensus autant qu’elle cristallise les tensions identitaires. Les contours de ce principe républicain sont mal compris et régulièrement détournés, aussi est-il important de les préciser.
Au fondement de la laïcité, la liberté de conscience et la liberté de culte
Article 10 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (DDHC) du 26 août 1789 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ».
Au fondement du principe de laïcité, la DDHC proclame la liberté religieuse ; la loi de 1905 reprend ce principe et, pour mieux le défendre, sépare les Églises de l’État. Son premier article est explicite : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes ».
La loi de 1905 est une loi de séparation des Églises et de l’État et non d’éradication du fait religieux .
La laïcité ne s’oppose pas aux religions mais défend au contraire la liberté d’en avoir une ou de ne pas en avoir.
Des religions ni reconnues ni méconnues par l’État et la neutralité bienveillante de l’État laïc
Aux termes de l’avis précité de la CNCDH, la neutralité de l’État est la première composante de la laïcité, ce qui implique l’égalité devant la loi de tous les citoyens « sans distinction d’origine, de race ou de religion » (art. 2 de la Constitution).
Dans le service public, la neutralité s’impose à tout agent du service public.
Les usagers ne sont pas soumis à cette règle de neutralité. Des restrictions peuvent être fondées sur des impératifs d’ordre public (sécurité, santé, salubrité, hygiène…) selon un principe de proportionnalité.
Donc neutralité de l’Etat mais pas de la société et encore moins de tous les citoyens. Ce cadre évolue en 2004.
3. Un sujet de débat
On observe deux conceptions qui s’affrontent :
D’une part une conception libérale de la laïcité issue de la loi de 1905,
et de l’autre, une conception qui se veut combative ou qui entend rendre invisible l’appartenance religieuse.
Cette confrontation entre ces deux conceptions s’est notamment traduite par des modifications législatives qui font évoluer le principe juridique de laïcité.
Jusqu’en 2004, le principe de neutralité issu de la loi de 1905 ne concerne que les institutions publiques et ses agents. Avec l’interdiction du port de signes religieux par les élèves dans les écoles publiques, le principe de neutralité a été étendu aux usagers des services publics.
Cette extension du principe de laïcité à des individus et des lieux qui n’étaient pas initialement concernés n’est pas sans comporter quelques dangers. Cela est interprété par certains comme un empiètement sur la liberté personnelle, alors que précisément la laïcité est censée préserver la liberté de chacun.
Si des débats sur la laïcité ont parfois pu se traduire dans la loi, certaines pratiques vont à l’encontre de la loi de 1905 sans pour autant faire évoluer juridiquement le principe de laïcité, renforçant alors la confusion de ces débats.
Ce fut notamment le cas à l’été 2016 dans un contexte où les attentats terroristes ont relancé le débat public autour du concept de laïcité. Le gouvernement a alors annoncé vouloir « réformer l’islam de France ». Or, la loi de 1905 était censée garantir l’autonomie et l’indépendance de chaque religion dans sa propre organisation.
Le mot de la fin
Ce débat entre laïcité en tant que principe juridique et laïcité en tant que valeur promue par des responsables politiques entretient la confusion autour de ce qu’est la laïcité et crée une véritable tension.
Ce qui est certain c’est que :
Ce cadre juridique ne suffit pas à protéger l’école et les enseignants des attaques dont ils sont l’objet dans un contexte de montée des tensions communautaires ;
Cette tension ne permet pas de se mettre d’accord avec clarté au niveau politique ;
Des évolutions sociales appellent nécessairement à repenser un cadre posé il y a vingt ans ;
Il faudrait donc refonder la laïcité tout en s’assurant que l’école demeure un lieu de réflexion, de construction des citoyens de demain. Il faudra pour cela veiller à :
Mettre en lumière des aspects pratiques : on voit comment la loi en elle-même n’est pas suffisante pour clarifier des point tels que la tenue vestimentaire (et je vous renvoie au sujet de l’abaya adressé par Gabriel Attal) ;
Protéger réellement les personnels de l’éducation qui en sont les gardiens (et former les enseignants et les cadres de l’Éducation nationale) ;
Ne pas penser de façon simpliste que c’est une histoire de religion. Certaines personnes se sentent exclues de la société et cela conduit à la radicalisation, à des dérives communautaires qui attaquent l’école. L’école qui n’a pas toutes les réponses. L’école qui véhicule malheureusement des inégalités.
Encore une histoire de vivre ensemble.
Pour prolonger la réflexion, nous parlerons bientôt de l’enseignement privé. C’est le sujet d’une autre Réplique !
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Merci Aude pour cet article très intéressant.
Je serais curieuse d'avoir votre avis sur l'interdiction de l'IEF au nom du combat contre le séparatisme.
L'état empiète aujourd'hui sur un droit important alors que seulement 0,5 % des familles en IEF sont en cause.
Malheureusement peu de personnes en parlent. En tant qu'ancienne enseignante, je trouve ça grave d'imposer la scolarisation en établissement à des enfants qui s'épanouissent très bien hors du cadre de l'Éducation Nationale, surtout quand on sait que celle-ci ne peut pas répondre aux besoins de chacun. Peut-être l'objet d'une prochaine Réplique ? 😉