#2 L'éducation, c'était mieux avant.
Cette semaine, on réplique pour arrêter d'être grognon. Non, ce n'était pas mieux. Avant n'était ni mieux, ni moins bien. Avant, c'était différent.
#2 Réplique
Bonjour à toutes et à tous.
Lundi 5 juin 2023 et voici ma deuxième Réplique.
Nous sommes déjà plus de 340 répliqueurs, soit 70 de plus qu’il y a deux semaines et je vous en remercie.
Cette semaine, nous nous attaquons au bon vieux « c’était mieux avant » (variante : « le niveau baisse », qui se décline aisément avec « les jeunes ne savent plus écrire », « ils ne lisent plus »…). On sait tous comment finit ce genre de monologue : « De mon temps, bla-bla-bla…».
Sauf que non, c’était pas mieux avant. C’était différent avant.
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Au programme de la deuxième Réplique
Et si c’était normal de penser que c’était mieux avant ?
Le changement de paradigme : une tête bien faite plutôt qu’un savoir accumulé
De nouvelles attentes
Et pour conclure
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C’est peut-être normal de penser que c’était mieux avant ?
« C’est une vieille idée qu’il y [aurait] décadence de nos écoles et baisse du niveau », confirme l’historien de l’éducation Claude Lelièvre.
Ce sentiment, appelé communément le « passéisme », vieux comme le monde, est lié à un certain nombre de biais cognitifs. Ce n’était pas mieux avant, c’était juste différent. Les pratiques, les attentes, le contexte… Il n’y a rien de semblable.
Pour autant, notre cerveau a tendance à ne retenir du passé que des éléments édulcorés voire carrément positifs qu’il confronte au présent assurément négatif. C’est le biais de négativité.
À celui-ci peut s’additionner « l’aversion au changement ». Cela signifie qu’il est cognitivement coûteux pour chacun d’entre nous d’évaluer et de s’adapter à un changement. Nous sommes instinctivement attachés à un stimulus auquel nous sommes exposés fréquemment.
Du coup, il est assez commun de penser que c’était mieux avant et il est tentant de condamner la nouveauté et le changement.

Le changement de paradigme : une tête bien faite plutôt qu’un savoir accumulé
Quand apparut l’imprimerie, Montaigne préféra une tête bien faite à un savoir accumulé. Le savoir gisait dans le livre, s’entassait sur les étagères de sa bibliothèque. Il lui suffisait de se lever pour le compulser.
Il n’est alors plus question d’apprendre par cœur, d’en avoir plein la tête ; se souvenir de la place du livre « coûte » moins que de retenir tout son contenu. Et si vous avez une question sur le contenu lui-même ? Un moteur de recherche s’en charge.
En réalité, nos jeunes se trouvent face à un savoir encyclopédique, à portée de souris, hyper accessible, collecté et connecté. À chaque question qu’ils se posent quelqu’un les a précédés, s’est chargé de consigner une réponse documentée.
Les enseignants en sont les premiers à en faire les frais. Hier « délivreurs » de savoirs (ce terme fait volontairement très « Deliveroo »), les enseignants d’aujourd’hui s’apparentent davantage à des « facilitateurs ». Ils accompagnent les jeunes vers l’accession au savoir.
Vous êtes nostalgiques des classes silencieuses où l’enseignant dispensait doctement son savoir (et à certains égards, moi-aussi) ? Il est diablement plus gratifiant de n’être pas qu’un porte-voix du savoir.
L’enjeu de l’enseignement d’aujourd’hui est la mise en place de dispositifs didactiques pour accompagner toutes et tous vers le choix, la sélection dans cette nappe de savoir, et ce, au service du déploiement de l’intelligence.
« Petite Poucette cherche et trouve son savoir dans la machine.» (Michel Serres)
Ce qui est inquiétant pour nous en tant qu’adultes, c’est sans doute de voir les élèves se libérer de la relation asymétrique au savoir. Ce qui est inquiétant, c’est que les attentes ont changé et qu’il ne nous est pas toujours aisé d’en comprendre les enjeux.
De nouvelles attentes
L’Éducation nationale a procédé à une actualisation de ses programmes en faisant glisser progressivement les attentes du « savoir » vers le « savoir-faire» avec le socle commun de compétences.
Conçu comme un « nouveau principe d’organisation d’école obligatoire», les disciplines et les programmes scolaires ont désormais vocation à être subordonnés à l’acquisition des compétences du socle, qui deviennent dès lors la véritable finalité de la scolarité obligatoire.
Ces nouvelles attentes viennent avec leur lot de complexité et je me souviens parfaitement de discussions cornéliennes en salle de professeurs : Quand cette compétence est-elle acquise ? Peut-on désapprendre une compétence ? Toutes les compétences se valent-elles ? Toutes les compétences peuvent-elles s’acquiérir et surtout… Est-ce le rôle de l’école ?
Ces changements induisent des réflexions qui questionnent le système tout entier : les classes sans notes, le contrôle continu et même le baccalauréat !
Autant d’institutions auxquelles nous sommes profondément attachés. Mais je crois qu’il n’est pas vain d’engager une réflexion sincère pour rénover l’éducation.
Et pour conclure
Ne soyons pas angéliques : tout ne va pas bien, loin s’en faut. Mais ça, c’est une autre histoire (et une autre Réplique).
S’enfermer dans la nostalgie, à l’abri du progrès, ne permettra pas à nos enfants de relever les grands défis de demain. Installer le pessimisme, distiller la peur de l’avenir, n’étaye aucun savoir ni ne construit aucun futur.
Alors oui, la structuration du savoir change et cela vient ébranler fortement nos représentations. Nos enfants n’apprendront pas les mêmes choses que nous et leurs métiers ne sont même pas encore inventés.
Mais dans le fond : Est-ce grave ? Je ne le crois pas.
Il est en revanche de notre devoir d’armer leur pensée pour poser des choix éclairés.
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