#3 Punir les parents : le retour de Super-Nanny !
Cette semaine, on réplique sur la responsabilité des parents. Faut-il les punir pour les éduquer (eux aussi) ?
#3 Réplique
Bonjour à toutes et à tous.
Lundi 10 juillet 2023 et voici ma troisième Réplique, une Réplique pas prévue.
Nous sommes déjà plus de 365 répliqueurs, soit 25 de plus qu’il y a 4 semaines et je vous en remercie.
J’avais initialement prévu une Réplique sur le « Quoicoubeh » - un sujet malicieusement évoqué par mon voisin de bureau - quand a surgi la violence sidérante de la mort de ce jeune lors d’une interpellation policière. Ce drame m’a intimement heurtée, sans doute comme beaucoup d’entre vous.
En ma qualité d’enseignante, je comprends ce qu’est l’épuisement professionnel, le mépris social et le besoin de destructivité.
Sans prendre un quelconque parti, je vous propose cette semaine de répliquer sur cette idée de punir les parents suite aux actes - et souvent aux exactions - de leurs enfants. Une idée qui semble ressurgir lors de chaque vague d’émeutes.
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Au programme de la troisième Réplique
L’obsession de punir les parents
L’état protège le droit des enfants
Sanctionner un défaut de compétence ?
Et pour conclure
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L’obsession de punir les parents
Une vieille idée
Lors de son discours de Grenoble du 30 juillet 2010, faisant suite à des émeutes urbaines, le président Sarkozy déclarait : « La question de la responsabilité des parents est clairement posée. Je souhaite que la responsabilité des parents soit mise en cause lorsque des mineurs commettent des infractions. Les parents manifestement négligents pourront voir leur responsabilité engagée sur le plan pénal [...]. Il ne s’agit pas de sanctionner. Il s’agit de faire réagir. »
Et rebelote cette année.
Le chef de l'Etat aurait glissé à des policiers rencontrés à Paris qu'il envisageait de « sanctionner financièrement et facilement » les parents en mettant en place « une sorte de tarif minimum dès la première connerie » commise par leur enfant.
Déjà, Emmanuel Macron avait appelé à « la responsabilité des parents » pour « garder au domicile » les mineurs, qui composent une bonne partie des émeutiers. « La République n'a pas vocation à se substituer à eux », avait-il insisté.
La co-éducation école / famille
Il est paradoxal que cette obsession de punir les parents surgisse dans des sociétés modernes où jamais les prérogatives des parents sur leurs enfants n’ont été aussi faibles.
Quatre jours sur sept, un enfant est confié aux bons soins de l’école, sans qu’on imagine un seul instant (heureusement !) de sanctionner un enseignant ou un chef d’établissement dont l’élève aurait commis une infraction.
La punition éducative ?
Ce qui est nouveau et qui fait question, ce n’est donc pas tant le fait de sanctionner les parents, mais c’est la manière dont prétend aujourd’hui s’exercer le droit de punir : une punition « pédagogique » voire « éducative».
Un glissement s’opère, dans l’exercice de la sanction, d’un État protecteur des droits de l’enfant à un État super-éducateur. C’est le retour de Super-Nanny !
L’état protège les droits de l’enfant
Dès les années 1890, apparaît l’idée que les enfants peuvent être « vicieux », selon la terminologie de l’époque parce qu’ils seraient abandonnés par leur famille. Plus victimes que coupables, il convient de les éduquer et de les protéger plutôt que de les punir.
L’État protecteur laisse alors la place à « l’État Super-Nanny », en référence à l’émission de télévision* dans laquelle, une éducatrice (plus ou moins bienveillante) fait régner l’ordre dans des famille en déshérence en venant inculquer quelques principes éducatifs à des parents totalement perdus.
Il est ressort la nécessité de « punir papa et maman » pour leur défaut de compétence éducative, afin qu’ils comprennent, enfin, comment devenir de « vrais parents ».
Sanctionner un défaut de compétence ?
Le stage de responsabilité parentale
De la même manière qu’il s’agissait au XIX siècle de faire le tri entre les enfants moralement abandonnés dits « récupérables » et les enfants « vicieux » dits « irrécupérables », il s’agirait ici de faire le tri entre les « parents dépassés » qui relèveraient de l’assistance éducative et les « parents négligents » qui relèveraient de poursuites pénales.
La circulaire du 13 décembre 2002 présente le stage de responsabilité parentale comme le moyen « de lutter contre la délinquance des mineurs dès lors qu’elle apparaît comme la conséquence des carences familiales graves », d’agir sur les parents pour les inciter à réfléchir sur leur fonction éducative et à adopter une attitude plus responsable.
Pour ma part, je n’ai jamais rencontré des parents qui souhaitent, sciemment, détruire leurs enfants, ou leur retirer toute chance d’un bon épanouissement en les poussant vers la délinquance. (C’est un peu saugrenu écrit comme ça mais il est bon de le rappeler).
Dans l’immense majorité des cas, il s’agit avant tout de parents débordés par des problèmes multiples et complexes et qui relèvent d’un accompagnement éducatif spécifique plus qu’à un stage de formation à la responsabilité.
Certes, le stage de responsabilité parentale est présenté comme une mesure pédagogique destinée à restaurer la capacité éducative des parents mais en menaçant de poursuites les parents, l’État semble anéantir les chances de réussite dans l’accompagnement éducatif des familles du fait de l’absence d’adhésion des parents, en les déconsidérant auprès de l’enfant dans leur fonction éducative déjà suffisamment mise à mal.
Surtout, cette stratégie repose sur l’idée - erronée - selon laquelle les parents seraient négligents par manque d’information, par manque de connaissance des enjeux scolaires, par manque de bases concernant les droits et devoirs des père et mère ; il suffirait donc de les contraindre, sous la menace de sanctions plus graves, à apprendre en quelques jours le listing des « bonnes pratiques » éducatives, pour les remobiliser et faire enfin d’eux des parents responsables.
Il s’agit donc bien, in fine, pour l’État Super-Nanny, de punir papa et de punir maman pour un défaut de compétence parentale comme si : délinquance juvénile = irresponsabilité parentale.
Comme s’il n’y avait pas de fractures sociales, comme si, dès le départ, nous avions tous les mêmes chances.
Et pour conclure ?
Alors que le mot « parents », du latin partus renvoie nécessairement aux liens du sang, à l’accouchement, on a redéfinit le fait d’être père ou d’être mère autour de la valorisation des choix personnels et des compétences parentales.
En résumé, doit être parent qui veut et qui peut. Cela nous renvoie au concept de parentalité.
La parenté inscrit l’enfant dans une lignée et une généalogie ;
La notion de parentalité vise toute personne qui joue un rôle parental en vertu d’une compétence.
L’accent ainsi mis sur le « savoir-faire » parental vient minorer l’incidence des inégalités sociales et des responsabilités collectives.
La parenté ne se réduit pas à des compétences, la famille ne peut être enfermée dans des savoirs.
Accompagner une famille, c’est renoncer d’emblée à prétendre tout savoir.
Le temps éducatif, c’est « cheminer avec » (étymologie de pédagogie !) pour amener une famille à découvrir les ressorts de ses difficultés et à s’en saisir, au terme d’un processus qui ne relève, ni d’un stage, ni d’une formation qualifiante, mais d’une relation éducative qui reste à nouer.
Pas d’une punition.

*Si vous avez lu jusque-là (bravo à vous), il est temps pour moi d’avouer que j’ai regardé cette émission qui avait la vertu de me réconforter quant à mes compétences éducatives. Je sais, c’est mal. Ne me jugez pas trop durement et donnez-moi votre avis en commentaire sur cette newsletter.
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Je trouve votre analyse un peu courte. Elle ne mentionne pas les droits et les devoirs. En échange de droits l’Etat requiert des devoirs. Les devoirs ne sont pas remplis, il n’y a pas de droits …
Il est vrai que cette émission avait un fort avantage narcissique. On se disait : Il y en a qui galère plus que nous ! 😅
Je me demande juste comment ne pas éviter la double peine par ce qui est proposé par le chef de l'état. En effet, des parents qui n'arrivent pas à maintenir un lien éducatif avec leurs enfants sont en souffrance. Que va leur apporter une réponse punitive ?
Au lieu de chercher la cause du mal uniquement dans la maison, ne faudrait-il pas chercher aussi, comme tu le soulignes, dans d'autres endroits (école, vie de quartier, lieu de résidence, possibilité d'emploi, etc...) ?