#4 Lire Madame Bovary ou apprendre à bricoler ?
Cette semaine, on réplique pour sauver Madame Bovary des oubliettes. À quoi bon lire Flaubert surtout quand on est un enfant ?
Bonjour à toutes et à tous.
Mardi 25 juillet 2023 et voici ma quatrième Réplique.
Nous sommes déjà plus de 410 Répliqueurs, soit 45 de plus qu’il y a deux semaines et je vous en remercie. Aidez-moi à passer le cap des 500 et partagez la Réplique !
Cette semaine, je fais suite au post Linkedin d’un ami, Barth’, qui soutient mordicus que faire lire « Madame Bovary » à des enfants ne sert à rien. Diantre !
Non seulement il faut continuer à lire Flaubert, mais la littérature classique en général…
Un·e ami·e vous a envoyé cette édition ? Inscrivez-vous à la Réplique.
Au programme de la quatrième Réplique
De quoi parle-t-on ?
Qu’est-ce qu’un classique ?
Le problème des classiques
Les classiques : de quoi sont-ils les modèles ?
Et pour conclure, le mot de Hugo
______________

De quoi parle-t-on ?
En dehors du talent de Barth’ pour écrire des posts LinkedIn en escalier, l’objet de la discussion ne porte pas sur la nécessité d’ouvrir les programmes scolaires sur des nouvelles disciplines : le fait de s’ouvrir aux autres, de mieux se connaître, de prendre soin de soi… Voilà des soft skills qui sont bien évidemment essentielles.
Nous nous questionnons ici pour savoir s’il peut être profitable pour nos enfants de lire « Madame Bovary », et par extension les classiques, ne soyons pas sectaires !
La littérature, telle qu'on l'enseigne, a-t-elle encore du sens pour les jeunes ? À lire le dernier livre de Tzvetan Todorov, « La littérature en péril » (Flammarion, 2007), on peut en douter. En France, les programmes scolaires accordent une grande importance à une approche académique de la littérature.
En tout cas, la littérature ne permettrait pas d’emmagasiner un savoir actionnable sur le monde. Et pour continuer à charger la barque :
les œuvres culturelles appartiennent au passé ;
elles sont perçues comme complexes pour les élèves éloignés de ces considérations, sans compter les élèves qui rencontrent des difficultés.
Qu’est-ce qu’un classique ?
Les classiques sont donc des auteurs qu’on peut dire aussi « choisis », c’est-à-dire consacrés et érigés en modèles pour l’enseignement, modèles de la langue dans les Humanités, et des « bonnes » façons de penser, en Théologie et Philosophie, donc en ce cas des « autorités ». Loin de moi l’idée de plaider pour une moralité à la Emma Bovary !
Dès le milieu du XIXe siècle, un autre sens apparaît. Il a été défini notamment par Sainte-Beuve. Dans une de ses chroniques intitulée justement Qu’est-ce qu’un classique ? :
un vrai classique [...] c’est un auteur qui a enrichi l’esprit humain, qui en a augmenté le trésor [...] qui a parlé à tous dans un style à lui [...] et qui est aisément contemporain de tous les âges
Il voit ainsi les classiques comme des modèles éternels et universels. De sorte que le sens du mot s’étend, et caractérise non seulement des auteurs antiques, puis des auteurs français du XVIIe siècle, mais tout auteur et artiste qui a accédé à cette haute qualité de création et mérite d’être érigé en modèle.
La liste des classiques est longue et à ce titre, l’école se charge de les enseigner sous forme de listes de lectures, de lectures suivies ou cursives plus ou moins obligatoires.
Le(s) problème(s) des classiques
Le problème avec les classiques, c’est qu’on les associe spontanément à l’école. Sans doute parce que, pour la plupart des lecteurs, le premier contact avec les classiques ce sont les cours de français.
Pourtant, les classiques n’ont pas été écrits pour s’assurer que les profs de français dans mon genre aient assez de sujets d’évaluations pour les siècles à venir. Pour autant, il est assez légitime que ce soit l’école, au nom de l’égalité des chances, qui sensibilise tous les élèves au patrimoine culturel classique.
Ces livres ont d’abord été écrits pour être lus et appréciés. Et c’est là le drame des classiques. Des d’élèves traumatisés qui fuient ces livres car ils n’ont eu aucun plaisir en les lisant.
Parce que ces lectures imposées leur ont laissé d'horribles souvenirs et qu’ils n’ont jamais pu dépasser de l’exercice scolaire pour commencer à apprécier le livre en tant que tel.
La principale difficulté réside donc selon moi dans l’enseignement de ces derniers.
Les classiques : de quoi sont-ils modèles ?
Les classiques sont à la fois des réalités du passé et des réalités présentes ; ils portent en eux leur réalité d’objets du passé.
Les classiques disent quelque chose des gens qui les ont lus et les ont aimés, bien avant nous. Ce faisant, nous voyageons dans l’histoire de leurs pensées, à la suite de leurs mots et de leurs idées.
En tant qu’enseignants (et en tant qu’adultes de manière générale), cela implique que nous soyons très à l’écoute des jeunes lecteurs qui nous sont confiés et que nous trouvions une façon de les conduire parmi ces classiques, d’une façon ludique et plaisante. (J’en profite pour vous rappeler que de nombreux classiques sont disponibles en classe ou à la maison sur Plume au cas où cela vous aurait échappé).
Et pour conclure : Le mot de Hugo
Ce qui est étrange avec les classiques, c’est que sous-couvert d’être « canonisés » par l’institution scolaire, l’œuvre se soustrait à l’épreuve individuelle du goût et ce faisant, risque de se retrouver aux oubliettes…
Difficile d’avouer qu’on trouve Victor Hugo ampoulé ou Proust ennuyeux. Et pourtant !
À Hugo de nous réconcilier :
Notre civilisation, œuvre de vingt siècles, en est à la fois le monstre et le prodige ; elle vaut la peine d’être sauvée. Elle le sera. La soulager, c’est déjà beaucoup ; l’éclairer, c’est quelque chose !
La vocation de « Madame Bovary », ce serait donc moins d’agir sur le monde que de l’éclairer ; c’est à ce titre que tous les enfants doivent lire l’oeuvre de Flaubert (mais apprendre aussi à bricoler).
Cette Réplique vous a plu ? Envoyez-la à un ou une amie !