Bonjour à toutes et à tous.
Mardi 29 août 2023 et voici ma cinquième Réplique.
Nous sommes déjà plus de 460 Répliqueurs, soit 50 de plus qu’il y a quatre semaines et je vous en remercie. Aidez-moi à passer le cap des 500 et partagez la Réplique !
Cette semaine, on réplique à propos de la diabolisation de l’intelligence artificielle.
L'IA n'est plus seulement le sujet de films de science-fiction, elle transforme activement divers secteurs, y compris celui de l'éducation.
Les enseignants, très facilement la proie de toutes sortes de dénigrements, vont-ils se retrouver remisés au placard ? Est-ce que l'IA va finalement remplacer les enseignants ? L'IA a-t-elle les moyens de renverser les mécanismes de production de l'échec scolaire ? On essaie d’y voir plus clair.
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Au programme de la cinquième Réplique :
Qu’en est-il actuellement ?
L’adaptive learning, taylorisation des apprentissages ?
Utilisation des données
D’importants changements pour les enseignants
Qu’en est-il actuellement ?
Actuellement, l'IA dans l'éducation ce n’est pas la suppression des enseignants, mais plutôt l'exploitation de cette technologie pour optimiser l'apprentissage. Cela signifie qu’une partie des enseignants utilisent des outils numériques pour ajuster leurs pratiques pédagogiques.
Je suis couramment agacée (pardon, je sais que c’est mal) quand on m’explique que le numérique est un gadget méprisé par les enseignants. Ce n’est pas le cas car les enseignants sont extrêmement engagés auprès de leurs élèves et savent qu’une réelle différenciation pédagogique nécessite (en partie) la prise en charge des besoins uniques de l’apprenant.
Les systèmes d'IA peuvent analyser les performances des élèves et identifier leurs besoins spécifiques. En utilisant ces données, les enseignants peuvent personnaliser l'enseignement, offrant ainsi une expérience plus adaptée à chaque élève.
Plume (comme par hasard) permet, par exemple, à un enseignant de disposer des caractéristiques de l’écrit de l’élève, de co-piloter l’apprentissage de l’expression écrite. Co-pilotage rendu impossible sans données agrégées et sans analyse de profils de scripteur (un scripteur = un enfant qui écrit).
L’adaptive learning, taylorisation de l’apprentissage ?
C’est ce qu’on appelle l'adaptive learning, une méthode éducative qui utilise l'IA pour adapter l'apprentissage aux besoins uniques des apprenants.
Selon Thierry Karsenti, titulaire de la chaire de recherche sur les technologies en éducation au Canada, l'IA peut vraiment permettre de franchir un palier en termes d'adaptation des contenus d'apprentissage : «L'idée, c'est d'utiliser ce potentiel pour permettre aux élèves de mieux apprécier leur parcours scolaire».
Philippe Watrelot craint, quant à lui, que le "taylored" [sur mesure] conduise au "taylorised" c'est-à-dire à la taylorisation, avec des procédures identifiées pour répondre à des cas répertoriés.
L’adaptive learning, habile habillage des pédagogies traditionnelles ?
Revenons à Adolphe Ferrière en 1921 à travers sa fameuse épigramme :
«L'enfant aime bouger : on l'obligea à se tenir immobile. Il aime manier les objets : on le mit en contact avec les idées. Il aime se servir de ses mains : on ne mit en jeu que son cerveau. Il aime parler : on le contraignit au silence. Il voudrait raisonner : on le fit mémoriser.»
Ce qui nous amène au point suivant : l’intelligence artificielle ne peut pas remplacer un enseignant (ouf !) ; faut-il pour autant la jeter à la poubelle ?

L’utilisation des données
Il n’est pas choquant que l’enseignant ne soit pas le seul à détenir des savoirs ; de fait, il y a de multiples façons d’apprendre : apprentissage entre pairs, apprentissages autonomes…
Ce qui serait plus choquant, c’est la confiscation de l’expertise des enseignants, réduits à appliquer des procédures définies… sans eux. (Parenthèse : cette frayeur de la taylorisation repose de façon accrue le sujet du recrutement des enseignants).
Le recours aux données (les fameuses datas) peut contribuer à améliorer l'outil ou à aider les professeurs à savoir ce qui fonctionne le mieux.
Est-il absurde d'imaginer qu'elles puissent être dévoyées ? Par exemple, la mise à l’écart de profils, la surveillance façon Big Brother…
Non cela n’est pas absurde mais ce n’est pas l’apanage de l’éducation.
Si l'IA reste à sa place d'outil, tout laisse penser qu'elle peut représenter une aide précieuse à disposition de l'enseignant pour lui permettre de différencier ses pratiques.
D’importants changements notamment pour les enseignants
Cela augure bel et bien une redéfinition du rôle de l'enseignant mais cette redéfinition ne date pas d’aujourd’hui. Et alors que le chercheur Philippe Meirieu définit la différenciation comme «le souci de la personne sans renoncer à celui de la collectivité», il ne faudrait pas renoncer au collectif.
Quid de la fracture numérique qui nous rappelle que les inégalités, que l’on cherche à endiguer, sont sur le point de réapparaître !
Cette technologie soulève également des préoccupations concernant la sécurité des données, la confidentialité et la fiabilité des résultats.
L'UNESCO s'est engagée à assister les États membres à tirer pleinement parti du potentiel de l'IA pour atteindre les objectifs éducatifs d'ici à 2030. L'organisation veille à ce que l'utilisation de l'IA soit guidée par les principes d'inclusion et d'équité, en étant accessible à tous et bénéfique pour tous.
S’agira-t-il d’un rempart suffisant ? Les enseignants y seront-ils suffisamment formés ? Les questions éthiques seront-elles résolues ? La fracture numérique sera-t-elle résorbée ?
C’est le sujet d’une autre Réplique !
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"Est-il absurde d'imaginer qu'elles puissent être dévoyées ? Par exemple, la mise à l’écart de profils, la surveillance façon Big Brother…
Non cela n’est pas absurde mais ce n’est pas l’apanage de l’éducation."
En fait "l'apanage de l'éducation" est trop vague. L'éducation n'est pas une personne. Par contre c'est l'apanage d'individus ou de groupes d'individus. L'Histoire de l'Humanité (et j'en sais quelque chose en étant archéologue de formation) que des individus ou des groupes d'individus ont souvent dévoyé des inventions initialement conçues pour le "bien" de l'Humanité. Alors "absurde" ? L'avenir le dira... :-)
"Le recours aux données (les fameuses datas) peut contribuer à améliorer l'outil ou à aider les professeurs à savoir ce qui fonctionne le mieux". réponse : NON.
Cela voudrait dire que les enfants sont réductibles à des datas. Qui dit datas, dit matrices et donc analyse de ces datas selon des normes. La pédagogie est justement un art, pas une science pure et dure, ni une norme. Être normatif, c'est être dogmatique et être dogmatique c'est penser que son approche est la seule et unique, la meilleure. Chaque enfant est totalement différent des autres et l'art de la pédagogie c'est l'adaptation continue avec l'Humain au centre de la relation. Un enfant n'est pas un programme informatique que l'on saucissonne. C'est un un être global qui nécessite une approche pédagogique holistique et hybride. Un bon enseignant n'a pas besoin de l'IA pour savoir ce qui fonctionne le mieux (avant on disait la même chose des TIC) : il a besoin d'expérience, de curiosité pour sans cesse s'interroger et renouveler ses approches. Cela étant dit, les datas peuvent éventuellement être informatives comme c'est le cas d'autres outils. Il ne faut être fermé à ce qui peut aider au travail de réflexion et d'adaptation. Mais l'humain doit resté aux commandes et au centre de la pédagogie. Auquel cas, l'Éducation ne serait plus humaine. Cordialement