#9 On a les profs qu'on mérite ?
Les annonces ministre, la maltraitance enseignante et autres réfléxions
Bonjour à toutes et à tous.
Mercredi 10 janvier 2024 et voici ma neuvième Réplique, la première de 2024.
Nous sommes déjà plus de 645 Répliqueurs, soit 35 de plus qu’il y a 4 semaines et je vous en remercie. Aidez-moi à passer le cap des 1000 et partagez la Réplique !
Je vous souhaite à toutes et à tous une douce et créative année 2024 emplie de projets enthousiasmants !
Cette semaine, on cogite. Je vous propose de réfléchir à un problème important, celui de la place des enseignants dans le système éducatif.
Alors que le ministre Gabriel Attal annonce 2000 recrutements, on peut légitimement se questionner : dans un système en crise, pourquoi recruter sans questionner la formation et les conditions de travail des enseignants ? Peut-on par ce biais réformer l’École ?
Retour sur les annonces et analyse de la situation.
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Au programme de la neuvième Réplique :
Les annonces du Ministre
Faut-il plus d’enseignants ?
Endiguer la crise du recrutement des enseignants ?
Le mot de la fin
1. Les annonces du Ministre
Gabriel Attal prévoit, pour la rentrée 2024, un meilleur taux d’encadrement des élèves dans le primaire. Il annonce des créations d’emplois d’enseignants dans le second degré, une première depuis 2017.
Le budget 2024 de l’Éducation nationale, le premier de la nation, s’élèvera à 64 milliards d’euros, en hausse de 4,1 milliards par rapport à 2023.
L’année 2024-2025 sera marquée par une nouvelle et forte diminution du nombre d’élèves : – 83 000. Cette baisse, liée à la démographie, sera surtout marquée en primaire.
La réduction de quelques 650 postes de professeurs des écoles (dans le public) ne devrait donc pas entamer le taux d’encadrement des écoliers. « Il s’améliorera même légèrement, s’établissant à 6,03 enseignants pour cent élèves, contre 6 à la rentrée 2023 et 5,46 à la rentrée 2017 », calcule le Ministre. Le nombre moyen d’écoliers par classe en primaire sera, lui, de 21,4, « le plus bas depuis 1960 », a-t-il souligné jeudi 21 décembre 2023.
Pour autant, dans le cadre du « choc des savoirs », Gabriel Attal annonce des créations de postes de profs, 574 effectifs supplémentaires, dans le second degré. Une première depuis sept ans.
2. Faut-il plus d’enseignants ?
Oui. Évidemment …
Dans une école marquée par les inégalités et le manque de performance, on sait que le rôle des enseignants est central : ce qu’on appelle l’« effet enseignant », qui évalue la part de l’influence des enseignants dans la réussite scolaire des élèves, indépendamment des autres déterminants (contexte familial, social, territorial etc.), est un facteur essentiel de la progression des élèves.
Ce n’est pas seulement la transmission des connaissances qui compte ici mais aussi la qualité de la relation, c’est-à-dire la capacité à accompagner et à soutenir l’apprentissage, une attitude positive permettant la persévérance dans l’effort.
Il est un peu plus marqué aussi sur les élèves faibles ou socio-économiquement défavorisés que sur les élèves forts ou socio-économiquement favorisés. Cet impact n’est pas négligeable quand on sait comparativement que les enquêtes PISA révèlent, en France, un effet du milieu socio-économique de la famille légèrement supérieur à 20 % (c’est d’ailleurs l’un des plus élevés au monde).
… Mais pas n’importe comment !
Si l’effet enseignant est important, les pratiques pédagogiques des enseignants sont tout aussi déterminantes. De nombreux travaux ont pu cerner des pratiques qui, dans des contextes déterminés et en rapport avec des contenus déterminés, se révèlent généralement efficaces.
Différents facteurs entrent alors en compte :
la mise en place de stratégies cognitives pertinentes et adaptées aux élèves (les dispositifs didactiques pertinents) ;
l’apprentissage de l’autorégulation aux élèves (comment je fais face à telle ou telle difficulté) ;
l’effet Pygmalion : le jugement que les enseignants portent sur leurs élèves n’est pas le simple enregistrement de caractéristiques objectives (et devinez quoi, si vous êtes un élève défavorisé et laid, c’est pas très aidant).
Donc plus d’enseignants, absolument ! Pour construire l’égalité des chances et l’inclusion des publics fragiles. Mais ce n’est pas qu’une question quantitative, loin de là. Cela repose de manière accrue la question de la formation enseignante et de leur recrutement.
3. Endiguer la crise du recrutement des enseignants ?
Des conditions de travail difficiles (intenables, en fait)…
Loin des clichés rebattus :
la moitié des enseignants déclare travailler au moins 43 heures par semaine, ce qui démontre que le travail des enseignants ne se résume pas aux 15 à 24 heures.
En volume horaire, sur les 1607 heures annuelles de travail, les enseignants français du premier degré consacrent 900 heures par an de leur temps à enseigner face aux élèves, bien au-delà de la moyenne de 740 heures de leurs collègues de l’OCDE. (source : Lucas Chancel, “La chute du salaire des enseignants (1980–2022)", Janvier 2022.)
Face à ces tâches et conditions, les enseignants ne disposent pas d’un salaire digne de leur engagement. Même en tenant compte des revalorisations de base et supplémentaires du Pacte enseignant en cours de déploiement, ils resteront encore bien loin de leurs collègues européens, notamment allemands, en termes de rémunération.
Tout cela conduit à un sentiment d’épuisement émotionnel chez 80% des enseignants, notamment chez les plus jeunes d’entre eux. (2022, Enquête scientifique – La santé mentale à l’école, Observatoire Ecolhuma)
Cette situation se traduit par un véritable malaise dans la profession. Seuls 4% des enseignants du premier degré et 7% des enseignants du second estiment que leur rôle est réellement valorisé par la société. (Enquête TALIS 2018, OCDE.)
… Qui nécessitent d’être repensées
Les différentes réformes qui ont toutes oublié le développement professionnel des enseignants. La qualité du recrutement est souvent discutée. Mais elle n’est pas la seule condition d’un enseignement de qualité.
La formation continue des enseignants apparaît comme un enjeu encore plus déterminant, notamment parce qu’elle est directement liée aux situations réelles d’enseignement.
Dans son référé publié en 2015, la Cour des Comptes recommandait « d’établir un lien plus étroit entre le parcours de formation des enseignants et les caractéristiques de leurs postes d’affectation et, à cet effet, améliorer le suivi statistique et individuel du parcours de formation des enseignants ».
Bien que le ministère ait prévu en 2019 que « la qualité, le niveau et la crédibilité de la formation continue impliquent que celle-ci soit aussi souvent que possible certifiante ou diplômante », ces mécanismes ne sont toujours pas entièrement fonctionnels.
On voit bien ici comment la refondation de l’école passera par la prise en compte de ses forces vives : les enseignants.
Le mot de la fin
Le temps du système éducatif est un temps long. N’oublions pas que les personnes recrutées aujourd’hui enseigneront jusqu’aux années 2050 environ à des élèves qui, eux, seront actifs jusqu’au XXIIe siècle…
Nous avons besoin pour cette refonte de tous les acteurs et pas seulement des acteurs institutionnels : les edtechs, les scientifiques… C’est un écosystème qui façonne l’éducation et qui construit la performance éducative.
Ce qui me frappe c’est la solitude des enseignants. Solitude que j’ai personnellement ressentie pendant longtemps dans ma classe. Ni aidée, ni considérée. Abandonnée à ma bonne volonté. Ces enseignants qui continuent malgré tout à avancer coûte que coûte, en brandissant leur vocation telle un bouclier.
Pourtant des outils de pilotage de la performance éducative existent, des solutions pilotées par des datas dont la science a montré l’efficacité. Pourtant la recherche a étayé l’importance de certaines pratiques éducatives.
Il est temps d’aligner les enseignants avec ce qu’ils méritent : de la considération, un salaire digne et une formation construite, non infantilisante, en relation avec la recherche et tout au long de leur vie professionnelle.
Réplique à envoyer à la nouvelle ministre !