Bonjour à toutes et à tous.
Mardi 27 mai 2025, et voici ma dix-huitième Réplique.
Nous sommes désormais plus de 1012 Répliqueurs. Waouh ! Ça s’accélère !
Un petit cœur en haut ou en bas m’aide à bien référencer ce contenu (et me fait très plaisir, vous vous en doutez).

Pour cette édition, j’ai décidé de la jouer démocratique et de proposer le sujet au vote du public. C’est le sujet du référendum sur l’école qui remporte la mise.
Peut-on proposer un référendum sur l’école ?
Depuis que le Président de la République a annoncé, lors de ses vœux du nouvel an, sa volonté de consulter plus souvent les Français, l’idée de l’organisation de référendums a fait son chemin. Certains y voient une façon de redonner la parole au peuple sur un sujet fondamental. D’autant que, dans la foulée, une convention citoyenne sur les rythmes scolaires a été annoncée. Alors, pourquoi pas une grande consultation sur ce que nous attendons collectivement de l’école ? Tentant, sur le papier.
Proposer un référendum sur l’école est un geste fort… mais aussi profondément paradoxal. Parce que l’école n’est pas une opinion mais un projet républicain. L’école n’est pas un sujet d’arbitrage populaire comme un projet d’infrastructure ou une réforme budgétaire. Elle est le socle même de la démocratie, pas un objet qu’on soumet à son jugement.
C’est l’école qui fabrique le citoyen, pas l’inverse.
En outre, l’école repose sur une expertise longue et complexe. L’éducation est un domaine hautement technique, fait de pédagogie, de sociologie, de neurosciences…
Un référendum simplifie à l’extrême des questions complexes : « Pour ou contre le redoublement ? » ; « Pour ou contre l’uniforme ? »; « Pour ou contre l’autorité ? »
Enfin, le référendum favorise le clivage, pas la réflexion. Un référendum oppose. Il divise. Il met en face-à-face des visions de l’école souvent construites sur des expériences personnelles : « Quand j’étais à l’école, c’était mieux » ; « Les élèves ne respectent plus rien »…
Et si on proposait un référendum sur la géométrie ? Sur la grammaire ? Sur la vitesse de lecture attendue en CE1 ?
C’est le sujet de la dix-huitième réplique !
Au programme de la dix-huitième Réplique :
L’illusion du bon sens démocratique
Ce que l’école est (et n’est pas)
Ce que mérite l’école : un pacte
J’en profite pour dire que si vous êtes enseignant ou enseignante, il est encore temps de profiter de notre formation gratuite “Apprendre à écrire et écrire pour apprendre ; 1893 collègues en ont déjà profité et cela se termine dans 2 semaines ! Cela se passe juste ici.
Cette Réplique est écrite avec Guillaume Placidet, étudiant en sciences politiques. Bravo Guillaume !
1. L’illusion du bon sens démocratique
Un petit point de droit constitutionnel s’impose. En vertu de l’article 11 de la Constitution, un référendum sur l’école peut être décidé par le Président de la République s’il s’agit d’un projet de loi relatif à la politique sociale de la nation ou aux services publics qui y concourent. Il peut être organisé sur proposition du Gouvernement ou sur proposition conjointe des deux assemblées. Un référendum peut également être organisé à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits.
Sur le papier, l’idée semble noble : consulter le peuple sur l’école, quoi de plus démocratique ? Après tout, chacun a été élève. Chacun a une opinion sur l’autorité, l’uniforme, les devoirs, les vacances. Et donc chacun serait légitime à voter, mais avoir été élève ne fait pas de vous un pédagogue !
Ce bon sens démocratique se heurte rapidement à la réalité politique de l’instrument référendaire. Car si le référendum est un outil constitutionnel, il est loin d’être neutre. C’est ce que nous apprend la littérature en sciences politiques : le référendum est facilement détourné et se transforme souvent en vote de confiance à l’égard du gouvernement en place. On parle de “glissements”: l’attention se déplace du fond de la question vers la forme, vers les personnes ou les partis portant le projet référendaire ou vers des questions indirectement liées à la question posée (Morel 2018).
En clair, le référendum ne garantit ni qualité du débat, ni consensus, ni même clarté. Il fige, là où il faudrait déplier. Il simplifie, là où il faudrait nuancer.
2. Ce que l’école est (et n’est pas)
L’éducation n’est pas une simple affaire d’opinion ou de bon sens : c’est un système profondément complexe, traversé de décisions à la fois administratives, pédagogiques et scientifiques. Penser qu’un référendum pourrait trancher une question éducative revient à ignorer la densité et la complexité des arbitrages qui structurent l’école.
En somme, l’école est un système vivant, technique, exigeant. Cette complexité nous éloigne de la polarisation référendaire.
L’école et les politiques éducatives se distinguent donc d’autres questions qui pourraient être soumises à des référendums. Plus largement, cette problématique soulève un questionnement essentiel: qu’est-ce que l’école ?
L’école, c’est un pilier de la République. C’est là que se construit, dès l’enfance, le sentiment d’appartenance à un même corps politique. C’est là que se forge l’idée de loi commune, d’intérêt général, de liberté encadrée par des règles partagées. L’école n’est pas seulement un lieu de transmission de savoirs : c’est un espace civique, où l’on apprend à penser par soi-même, à débattre, à écouter, à devenir citoyen.
L’école est l’outil central de la promesse d’égalité. En proposant à tous les élèves les mêmes enseignements, les mêmes exigences, les mêmes horizons, elle tente — parfois difficilement — de neutraliser le poids des héritages sociaux. Cette mission est immense, et repose sur un postulat fort : le savoir libère des entraves qui pèsent sur nous. Encore faut-il qu’il soit rigoureux, structuré, ambitieux.
Mais…l’école ne peut pas tout. Elle ne peut pas, à elle seule, réparer les injustices sociales, combler les inégalités économiques, répondre aux fragilités familiales, soigner les maux de la société ou compenser toutes ses carences. On lui demande souvent de tout faire (voir la réplique 15 !)— et on lui reproche ensuite de ne pas y arriver. Un référendum, en prétendant trancher d’un coup ce que l’école devrait être, s’inscrit exactement dans cette logique : celle d’attentes démesurées et de réponses simplistes à des enjeux profondément complexes.
Enfin, l’école n’est pas un service. Elle ne répond pas à une logique de satisfaction immédiate, de demande individuelle. L’école n’a pas vocation à varier selon les fluctuations de l’opinion. Elle poursuit une autre ambition : transmettre, former, émanciper. Le référendum, réduit à une forme d’enquête de satisfaction, risquerait de conforter une logique consumériste de l’école. Comme si l’éducation pouvait se plier aux préférences du moment.
Les élèves ne sont pas des clients à satisfaire, mais les bénéficiaires d’une promesse républicaine que l’école s’efforce, tant bien que mal, de maintenir.
3. L’école mérite un pacte
Ce dont l’école a besoin, ce n’est pas d’un référendum, mais d’un pacte. Un engagement collectif, construit dans la durée, qui implique la société tout entière : enseignants, parents, élèves, experts, élus.
L’éducation mérite mieux qu’un vote binaire — elle exige des débats citoyens ouverts, nuancés, exigeants, où l’on prend le temps d’écouter, de confronter les points de vue, de comprendre les tensions profondes entre justice sociale, transmission des savoirs et préparation à l’avenir.
Ces discussions doivent reconnaître la légitimité des "faiseurs" de la République : les enseignantes et les enseignants, celles et ceux qui, chaque jour, portent l’école à bout de bras. Mais aussi celle des chercheurs, des pédagogues, des professionnels de terrain, qui apportent des données, des expérimentations, des connaissances précieuses pour éclairer les choix collectifs.
Transformer la question scolaire en objet de campagne ou en levier de polarisation affaiblit l’école, en la réduisant à une arène idéologique.
L’école mérite des forums publics, des conférences citoyennes, des espaces où la parole se confronte sans être instrumentalisée. Elle mérite que l’on prenne soin d’elle comme d’un bien commun, trop fragile pour être abandonnée aux logiques d’agenda politique.
C’est dans la lenteur du débat, dans l’écoute mutuelle, dans la clarté des finalités que pourra émerger un véritable pacte pour l’école — un pacte à la hauteur de ce qu’elle incarne pour la République.
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Bonjour, pour participer à la réflexion sur l'école, voici un livre que je viens de publier et qui s'adresse aussi bien aux décideurs, aux parents, aux enseignants qu'aux passionnés : "Comment créer son école idéale innovante ?". Le lien est : https://amzn.eu/d/1wxllWj
Cordialement
Philippe de CARLOS
Docteur en sciences de l'éducation, co-fondateur et directeur d'écoles (réseau AEFE et réseau privé).